Prothèses PIP : Aristote doit se retourner sans sa tombe

Me Yves Haddad, défenseur de Jean-Claude Mas, le fondateur de Poly-Implant-Prothèse, la société qui a commercialisé des implants mammaires remplis d'un gel de silicone frauduleux.

Article issu d'un commentaire («PIP, la plus "belle" illustration de Politique I,9») de l'article «Aristote: premier critique de la fausse richesse, spéculative et illimitée» paru sur Politproductions.

Tout le monde connaît désormais l'affaire des prothèses mammaires frauduleuses fabriquées par la société PIP (Poly Implant Prothèse) pour partie au moyen d'un gel «maison» non conforme qui, dix fois moins cher que le gel conforme (le Nusil), a permis à cette société de réduire ses coûts de production d'environ un million d'euros par an et d'augmenter d'autant ses profits.

Le caractère cancérigène du gel frauduleux n'est pas attesté. En revanche, le dernier bilan de l'ANSM a établi que sur environ 29577 femmes explantées en France près de 4816 avaient été victimes d'effets indésirables et 7540, de dysfonctionnements (coupure/trou, désagrégation, défaut visible, respiration, rupture, plis, vague, rotation, retournement, changement de couleur de l'implant).

Sur le plan judiciaire, plus de 7000 femmes ont porté plainte (environ 300.000 dans le monde sont porteuses d'une prothèse PIP), et le 14 mai dernier le procureur de la République de Marseille, Jacques DALLEST, a réclamé entre autres condamnations quatre ans de prison ferme contre le fondateur de PIP, Jean-Claude MAS. Le jugement est en délibéré jusqu'au 10 décembre.

L'affaire illustre particulièrement bien l'analyse d'ARISTOTE, non seulement parce qu'il s'agit d'un cas de perversion chrématistique qui touche à la santé publique, mais encore parce que son principal responsable a publiquement revendiqué son forfait en arguant de la nécessité économique. Jean-Claude MAS ("plus" en espagnol!) a en effet multiplié les déclarations cyniques. Wikipédia (article PIP) en rapporte quelques-unes très éloquentes:

  • Il avoua notamment lors de son audition à la gendarmeriequ'il avait donné «l'ordre de dissimuler la vérité [...] dès 1993» à l'organisme certificateur allemand TÜV. Il détailla par la suite toute la fraude sans la moindre gêne, ni sans avouer le moindre remords, déclarant «Je savais que ce gel n'était pas homologué, mais je l'ai sciemment fait car le gel PIP, rapport qualité-prix c'était moins cher».
  • À propos des plaignantes, Jean-Claude Mas déclara: «Il s'agit de personnes fragiles ou de personnes qui font ça que pour le fric. [...] Moi je vivais bien à l'époque», c'est-à-dire avec une rémunération fixée à 30 000 euros mensuels.

Dans l'extrait [précédent] d'une vidéo de varmatin.com mise en ligne par Nice-Matin le 28 décembre 2011, on peut entendre l'avocat de Jean-Claude Mas, Me Yves HADDAD, expliquer que son client n'a fait que suivre l'ordre des choses capitaliste. «C'est pas beau, peut-être, mais c'est ainsi», conclut-il. Deux jours plus tôt, sur France Info (le fichier son est hélas désormais inaccessible), il avait déclaré: «Le problème est un problème de prix de revient et de coût, donc de bénéfice. C'est une démarche capitaliste, et c'est comme ça.» Et il avait ajouté que la dangerosité du gel non conforme employé par PIP n'étant pas scientifiquement démontrée, «le reste, c'est de la philosophie. Ce n'est pas bien (...) mais c'est comme ça».

Incroyable tombée de masque qui aurait ravi Bernard MANDEVILLE, l'auteur de La Fable des abeilles, d'autant plus que Me Haddad lui reprend son argument central pour justifier ultimement son client par la «mission de maintenir les emplois» : le vice de la richesse donne du travail aux pauvres..., en l'occurrence les 120 employés de PIP qui sont désormais «dans la panade». En d'autres termes, loin d'un retour de la lutte des classes, s'empresse-t-il de préciser, «c'est le mariage parfait entre le capital et le travail». On croit rêver, mais non. Ecouter Me Haddad louer les bienfaits du vice (extrait audio de la fin de la vidéo de varmatin.com):

Aristote, quant à lui, doit se retourner dans sa tombe. Nous espérons pour notre part que le tribunal de Marseille ne versera pas à son tour dans cette hypostase commode de la lex œconomica.

Commentaire(s)

Permalien

Publié le mardi 10 décembre 2013 à 18h17 - Marseille (AFP)

Le fondateur de la société varoise PIP, Jean-Claude Mas, a été condamné mardi à Marseille à quatre ans de prison pour avoir vendu durant des années des implants mammaires defectueux, dans le premier procès de ce scandale retentissant.

Considéré par le tribunal correctionnel comme l'"initiateur de la fraude", il n'ira toutefois pas en prison, l'appel annoncé par son avocat étant suspensif, dans l'attente d'une nouvelle audience à Aix-en-Provence.

La juridiction a en outre prononcé des peines allant de trois ans de prison, dont deux avec sursis, à 18 mois avec sursis à l'encontre des quatre autres prévenus, anciens cadres ou dirigeants de l'entreprise, poursuivis comme M. Mas pour "tromperie aggravée" (par la dangerosité du produit) et "escroquerie" (aux dépens du certificateur TÜV).

M. Mas, 74 ans, baskets blanches et veste à carreaux, est resté imperturbable à l'énoncé du jugement, conforme aux réquisitions, dans une salle où une cinquantaine de victimes avaient pris place. Le septuagénaire, qui a toujours nié la nocivité de ses prothèses, a également été condamné à 75.000 euros d'amende et à une interdiction définitive d'exercer dans le secteur médical ou de gérer une entreprise.

"Je suis déçu mais pas surpris", a réagi son conseil Me Yves Haddad. "L'affaire PIP était depuis le début +l'affaire Mas+, le parquet a voulu faire de lui le coupable de cette affaire".

"Une première étape symbolique"

Ce jugement intervient sept mois après un procès qui a couté 800.000 euros et réuni dans un centre de congrès 300 avocats et autant de victimes.

Les cinq prévenus avaient reconnu lors des débats la fraude, révélée en mars 2010, sur le gel de silicone, différent du Nusil déclaré officiellement, pour un gain annuel chiffré à un million d'euros, dans une entreprise où les 120 salariés avaient gardé le silence, par peur du patron ou en raison des emplois en jeu.

"Il exerçait un leadership tel qu'il était particulièrement difficile d'aller à l'encontre de ses décisions", a considéré le tribunal, évoquant une supercherie "d'une ampleur inégalée" et au "retentissement mondial" dont il était "le principal bénéficiaire, eu égard à sa participation dans le capital de la société".

"Jean-Claude Mas n'a pas craint, pendant environ dix années, de vendre des implants mammaires contenant un gel (...) fabriqué selon des procédés aléatoires" et "qui n'avait pas subi les tests et examens indispensables pour en garantir l'innocuité", exposant les porteuses "à de graves et pénibles incertitudes sur leur devenir sanitaire", estime encore la juridiction.

"C'est une première étape symbolique, la première fois qu'on peut utiliser le mot +coupable+ pour Jean-Claude Mas", s'est félicité Alexandra Blachère, présidente de la principale association de porteuses de PIP.

"C'est un soulagement pour les victimes d'être reconnues", ajoutait l'avocat Philippe Courtois, saluant "une réponse rapide et cohérente de la justice", même s'il a décidé lui aussi de faire appel.

Face à ces deux recours, le parquet "fera un appel incident pour l'ensemble des prévenus pour permettre à la cour d'appel d'apprécier dans sa complexité l'ensemble de ce dossier", selon le procureur Brice Robin.

En quête d'un débiteur

Parmi les 7.113 parties civiles, 4 à 5.000 plaintes ont été jugées recevables et le tribunal a condamné Jean-Claude Mas à indemniser à hauteur de plusieurs milliers d'euros (jusqu'à 13.000 maximum) chacune des victimes, au titre du préjudice moral et d'anxiété, ainsi que du préjudice corporel pour les porteuses de prothèses ayant subi une explantation.

Tant que la condamnation n'est pas définitive, les plaignantes ne pourront cependant pas réclamer cette somme qui, au global, "tourne aux alentours de 40 millions d'euros", a précisé M. Robin.

En quête d'un protagoniste solvable, leurs conseils tentent, parallèlement aux procédures pénales, de faire reconnaître au civil la responsabilité des différentes parties à l'affaire, au premier rang desquelles le certificateur allemand TÜV chargé d'apposer le marquage CE, gage de qualité.

Ils ont récemment remporté une première victoire: mi-novembre, le tribunal de commerce de Toulon a condamné le groupe à "réparer les préjudices" causés, estimant qu'il avait "manqué à ses obligations de contrôle".

"PIP a trompé TÜV, dont la mission ne permettait pas de déjouer une escroquerie de cette ampleur", objecte le conseil de la société, Me Olivier Gutkès.

L'Agence des produits de santé (ANSM), qui a finalement vu sa demande de partie civile rejetée par le tribunal, avait également défendu à l'audience son action, évoquant les limites de la réglementation européenne.

Le dernier bilan de l'Agence fait état de plus de 7.500 ruptures de prothèses et 3.000 effets indésirables, principalement des "réactions inflammatoires", pour un nombre de porteuses estimé à 30.000 en France (plusieurs centaines de milliers dans le monde).

"Source AFP" © 2013 AFP

Permalien

Le Monde.fr avec AFP l 02.05.2016 à 14h48

«La cour d’appel d’Aix-en-Provence a condamné lundi 2 mai 2016 Jean-Claude Mas, fondateur de la société Poly Implant Prothèse (PIP), à quatre ans de prison ferme, confirmant la peine prononcée en 2013 en première instance. L’homme, âgé de 76 ans, a de nouveau été reconnu de fraude aggravée, et d’escroquerie à l’égard de la société allemande de certification TÜV. M. Mas doit également payer une amende de 75 000 euros et se voit interdire définitivement d’exercer dans le domaine de la santé.»