Deux exemples de commérages sur l’enseignement de l’économie en lycée : Nicolas Sarkozy et Augustin Landier

Constitution de la 4e République

I. Augustin Landier ou la falsification de l’histoire

Invité du « grand show de l’info » (animé par Eric Brunet sur RMC) pour parler de l’enseignement de l’économie en France, le translucide Augustin Landier, professeur à l’École d’économie de Toulouse, a colporté des ragots dans l’air du temps.

Pour présenter rapidement cet agent de la mathématique financière, normalien titulaire d'un doctorat d'économie américain, ancien chercheur au FMI, citons ses déclarations au sujet des hedge funds, technique spéculative pourrie s’il en est :

« Tu connais bien le monde de la finance pour avoir monté ton propre hedge fund. À ton avis, a-t-on raison de les accuser d’avoir fomenté cette crise ? » « Non. Rien ne prouve que les hedge funds soient néfastes pour l’économie. Au contraire, en corrigeant les excès des marchés, ils contribuent à les assainir. Mais c’est vrai qu’en étant obligés de liquider leurs positions à peu près tous en même temps, ils ont amplifié la spirale baissière. Ce sont les victimes collatérales de la crise du crédit ».

Cela c’était en juin 2009 sur Canal+. Ce mardi 9 novembre 2010 Augustin Landier s'en prend à l’enseignement du second degré. Il lui reproche son approche politique de l'économie et sa fronde contre les réformes en cours, l'accuse de traiter des grands sujets tels que la précarité (sic!) au lieu de transmettre les techniques concrètes de gestion conformément à la récente refonte des programmes. Ce spéculatif spéculateur au nom balzacien se révèle pris de nostalgie pour le second Empire et l’entre-deux-guerres quand florissaient les petits boursicoteurs. Les enseignants (de gauche, cela va de soi ) ne sont pas selon lui les seuls responsables du désamour des Français pour l’économie (capitaliste, cela va de soi). Non, le « problème » que l’on a « pour se réconcilier avec le capitalisme... date essentiellement de l’après-guerre » et vient de ce que l’« on a délégué à l’État le soin de planifier pour nous ». Cette fois ce ne sont plus seulement les professeurs marxistes qui sont mis en accusation, c'est implicitement le marxisme lui-même. Tandis que Sarkozy, destructeur du programme du Conseil National de la Résistance, est occupé à récupérer l’héritage gaulliste, cet idéologue du capital travaille à laver la mémoire des Français en taisant les raisons pour lesquelles l’État, à la demande de la Résistance, reprit en main une partie de l’économie au lendemain de la Deuxième Guerre Mondiale. Le Préambule de la Constitution de 1946 et l’énoncé qui le suit des droits sociaux et économiques introduits par le législateur les indiquent pourtant clairement ; voici ce Préambule et, à titre d’exemple, quatre de ces droits ou principes économiques et sociaux particulièrement significatifs (on pourra lire le reste sur le site de Légifrance) :

« Au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d'asservir et de dégrader la personne humaine, le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés. Il réaffirme solennellement les droits et libertés de l'homme et du citoyen consacrés par la Déclaration des droits de 1789 et les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.
Il proclame, en outre, comme particulièrement nécessaires à notre temps, les principes politiques, économiques et sociaux ci-après :
[...] Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises.
Tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité.
La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. Elle garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs.
Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence. »

Dans l’immédiat après-guerre les peuples étaient généralement conscients du lien essentiel qu’il y avait eu entre la spéculation, la crise économique et sociale qu’elle avait engendrée et la guerre qui la suivit. Mais Augustin Landier comme Nicolas Sarkozy veulent brouiller cette conscience ou son héritage que les professeurs d’économie du secondaire transmettent ou tentent en effet de transmettre et de maintenir contre le totalitarisme de la pensée « libérale ». Point trop d’inquiétude cependant, ces deux-là sont aux abois. Leur régime est déjà mort.

II. Raillerie et rancœur stupides de Sarkozy à l’égard de la filière économique et sociale dont il est issu

 Le 27 janvier 2009, à Châteauroux en Indre, Nicolas Sarkozy déclarait : « Il y a une filière économique pour vos enfants. C’est une blague ! Mettez vos enfants dans la filière ES, ils ne pourront pas se permettre de se présenter dans les meilleures écoles économiques ».

La filière ES, anciennement B, est sans doute une série où échouent nombre d’élèves qui ne savent quelle voie choisir, ou qui rêvaient d’une orientation en S et répugnent bien souvent à s’inscrire en série L non moins qu’en STG (anciennement G). D’où les flux d’élèves démotivés et par conséquent médiocres que draine cette série. Mais 1/ ce n’est pas le cas de tous les élèves de la série ES où il s’en rencontre d’excellents ; 2/ cette série est – ou du moins était jusqu'aux récentes réformes – sans doute la plus complète, la plus équilibrée et la plus diversement approfondie sur le plan disciplinaire (au niveau de la classe terminale, notamment, dont les programmes et les horaires de mathématiques, d’histoire géographie, de langue, de philosophie – pour ne rien dire, bien entendu, de l’enseignement économique et social – sont proportionnellement plus importants que dans les autres séries). En d’autres termes, pour réussir en ES il faut être bon élève aussi bien en lettres qu’en sciences et en général dans de plus nombreuses disciplines que dans les autres séries. Ou plutôt il le faudrait si, de fait, le choix des élèves pour cette série n’était pas le résultat d’une orientation négative ou par élimination qui tend à dévaluer et à abaisser objectivement le niveau de la filière. Mais il importe de ne pas prendre l’effet pour la cause. Le choix négatif des élèves pour la ES s’explique par la même raison que notre Bouvard ou Pécuchet de Président de la République se gausse de cette filière en tant qu’elle n’ouvre pas les portes des « meilleures » écoles économiques, à savoir que si en ES on fait des mathématiques à un niveau qui est (ou était) à peu près celui de l’ancienne série scientifique D, il n’est pas suffisant pour concurrencer le niveau des élèves de S spécialisés en mathématiques (niveau mutatis mutandis de l’ancienne C)... et que les mathématiques, comme chacun sait, sont érigées (et aussi bien dégradées) en outil de sélection à l’entrée dans les grandes écoles non littéraires ou artistiques. Mais voilà précisément le problème, particulièrement sensible en série ES et particulièrement sensible dans la crise présente, qu’un Président de la République à la hauteur de la situation devrait prendre en compte quand il s’agit de décider de la destination de la série scolaire économique et sociale ! Ce qui nous manque aujourd’hui, ce qui a cruellement fait défaut aux fauteurs de la crise actuelle, c’est précisément une PENSÉE économique, laquelle est de moins en moins enseignée dans le tronc commun de la série ES et de plus en plus en spécialité, c’est-à-dire en fin de compte de moins en moins, étant donné que suivant leur choix négatif les élèves de cette série lui préfèrent la spécialité de mathématiques, si même ils y réussissent fort mal en raison des difficultés mêmes qui les ont exclus de S et poussés en ES...

Bref, un Président de la République à la hauteur de la crise, sur cette question comme sur d’autres, ne nous tiendrait pas un discours nourri de commérages (eux-mêmes, oui, probablement alimentés, comme l’est en général la médisance sur l’École, d’anciennes frustrations personnelles) qui présupposent que l’économie est une discipline de matters of fact ou bien de techniques de production marchande ou encore d'économétrie, un point c’est tout, et qui par conséquent ignorent qu’elle est avant tout une discipline de principes et de réflexion, de réflexion originellement politique, inventée, refondée, critiquée par les philosophes (Aristote, Xénophon, Hume, Smith, Condorcet, Stuart Mill, Marx...) et par des juristes, historiens, sociologues (Menger, Schumpeter, Weber, Von Wieser, Sombart, ...), et non pas tellement par des traders bourrés de mathématiques financières... Un Président de la République à la hauteur de la crise devrait donc, au lieu de ruminer comme un lama ses aigreurs de potache pour les régurgiter au visage des professeurs et des chercheurs, inspirer profondément la révolution dans la manière de penser qu’il est urgent de provoquer dans les études économiques en faveur d’un retour à la réflexion au lieu de l’obsession du fric et des méthodes pour l’accumuler dont nous crevons, retour que la série ES de nos bahuts, telle qu’elle est actuellement conçue, est tout à fait propre à préparer pour peu qu’on veuille bien laisser travailler selon leurs propres problèmes disciplinaires ses enseignants sociologues et économistes (parmi les plus cultivés de nos professeurs), ses philosophes, historiens géographes, linguistes, mathématiciens, etc., sans chercher à leur imposer le programme de la BNP ou de la Société générale qui implantent peu à peu leurs impératifs mercantiles dans les établissements scolaires par le biais des séries technologiques ou professionnelles…